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Discours de Habib Bourguiba au congrès du Néo Destour, 1er  –  2 novembre 1937

Portrait officiel du président Bourguiba (1960)

Mars 2015

INTRODUCTION

Habib Bourguiba est aujourd’hui, sans aucun doute, une figure emblématique de la Tunisie. Il est, de nos jours, considéré d’une part, comme étant le leader pour l’indépendance ainsi que le fondateur de la Tunisie moderne, mais d’autre part, il est considéré comme étant un collaborateur de la colonisation et un dictateur.

Pour comprendre ce paradoxe, il faut remonter à l’époque coloniale et au protectorat français en Tunisie, qui a officiellement pris fin en 1956. Durant cette période, l’opinion publique étai divisée en deux; les uns voyaient en Bourguiba l’adversaire le plus redoutable de la présence française, tandis que les autres voyaient en lui un diviseur de la nation, un traître, un vendu.

            Habib Bourguiba prononce un discours à l’occasion du congrès du Néo Destour en novembre 1937. Cette même année, des incidents sanglants éclatent en Tunisie suite à l’échec des négociations engagées par le gouvernement Blum. Bourguiba voit alors naître une opinion publique qui lui est défavorable, et tente, à travers son discours, de redorer son blason et défendre sa politique dite des étapes.

            Nous avons pour notre part travaillé sur un extrait de ce discours, lui-même extrait du livre La Tunisie et la France datant de 1954. Il s’agit en réalité d’un recueil des écrits de Bourguiba, à savoir ses articles de journaux, ses lettres particulières mais aussi ses discours. Ce recueil comporte cinq parties, celle qui nous intéresse tout particulièrement est la deuxième partie dans laquelle nous nous sommes attardées au chapitre 3 intitulé « Le point de la situation, discours-programmes de Bourguiba au congrès ».

Dans un premier temps, nous allons présenter la biographie de Habib Bourguiba, puis nous parlerons du contexte historique et des évènements ayant eu lieu en Tunisie dans les années 1930, qui ont mené incontestablement à l’écriture de ce discours.

Ensuite, après vous avoir lu le discours, nous vous présenterons les idées développées par son auteur, qui a d’ailleurs le ton grave, dénonciateur, ironique et accusateur lors de sa prise de parole. Nous comprendrons en quoi Bourguiba nie être un collaborateur, puis nous aborderons les différentes formes de collaboration qu’il distingue, pour enfin nous pencher sur les accusations qu’il formule à son tour.

I) AUTOUR DU DISCOURS

a) Biographie de Habib Bourguiba

Habib Bourguiba de son nom complet ‘’Habib Ben Ali Bourguiba’’ est un homme d’Etat tunisien et 1er président de la République Tunisienne entre 1957 et 1987.

Enfance et études:

 -Fils d’un officier de l’armée beylicale (Quand l’occupant français a accordé au Bey de Tunis), il est née le 3 aout 1903 à Monastir dans une famille modeste. Il était le plus jeune de 8 frères et sœurs. Envoyé à Tunis à l’âge de 5 ans auprès de son frère ainé, Bourguiba fait ses études primaires et secondaires au Collège Sadiki ( Collège le plus réputé de Tunis) puis au lycée Carnot.

-Il s’embarque ensuite pour Paris Sorbonne pour poursuivre ses études supérieures à la faculté de droit et à l’institut politique (pour combattre le protectorat français). En 1927, il y obtient respectivement sa licence en droit et le diplôme supérieur d’Etudes politiques.

Le militantisme débutant et la formation du Néo-Destour:

-Il retourne à Paris après ses études en 1927, et il exerce sa profession d’avocat.  Il se lancera juste après à l’action politique et va collaborer avec ‘’L’Etendard Tunisien’’ avant de fonder en 1932, ‘’L’Action tunisienne’’.

-Il deviendra membre de la commission exécutive du parti du Destour après le congrès en Mai 1933 mais il démissionnera 4 mois plus tard. Suite à sa démission, il décidera de réunir un congrès du parti en 1934 ce qui va faire partager le parti en 2 branches: L’une conservatrice qui conserve le nom de Destour et l’autre moderniste baptisée ‘’Néo-Destour’’ et qui est dirigée par de jeunes intellectuels dont : Mahmoud El Materi en tant que président (Physicien et homme politique) et Bourguiba en tant que secrétaire général.

Répression coloniale  et la guerre :

-Ceci va mettre en alerte Peyrouton (Résident général français) et il  arrêtera les “agitateurs” et ordonnera leur déportation dans le Sud tunisien. Cette détention se prolonge jusqu’en 1936.

– Il sera a nouveau arête, mais sera libéré par les Allemands en 1942. Il refuse de se collaborer avec eux en disant “L’Allemagne ne gagnera pas la guerre et ne peut la gagner”

– En 1945,  il part s’installer au Caire, ou se trouve le siège de la ligue arabe, pour avoir le soutien à sa cause nationaliste tunisienne. En 1947, il fera une visite aux Etats-Unis pour défendre la cause de son pays aux Nations-Unies, mais il se rendra compte qu’il faudra pour lui compter sur sur sa propre force et sur les mouvements anticoloniaux en Occident pour battre le protectorat.

La fondation de la Tunisie moderne :

– En janvier 1952, il est arrêté pour avoir appelé ses compatriotes à multiplier les actions de résistance. Mais la chance lui sourit le 31 juillet 1954 lorsque Pierre Mendès France, Président du Conseil français, débarque à Tunis et déclare devant le bey à Carthage que Paris n’est pas opposé à l’émancipation du peuple tunisien. Le 1er juin 1955, Habib Bourguiba effectue un retour triomphal à Tunis, juste après la signature des conventions franco-tunisiennes reconnaissant l’autonomie interne du pays. Enfin, La Tunisie obtient l’indépendance le 20 mars 1956 et il deviendra le premier ministre.

-Bourguiba est connue par sa doctrine surnommée de ‘’Bourguibisme’’ et  elle est fondée sur le réalisme politique et économique. Elle est composée de l’affirmation de l’identité nationale tunisienne, construite dans la lutte contre les Ottomans et les Français, du libéralisme, d’un islam étatisé et contrôlé et d’une totale indépendance vis-à-vis des politiques arabes et il sera beaucoup critiqué par des manifestants du Proche Orient en l’accusant d’être ‘’Un laquais du colonialisme et de l’impérialisme’’.

– Dès la première année de l’indépendance et durant son mandat de premier ministre, Bourguiba mettra en place beaucoup de réformes législatives pour se débarrasser de toutes traces coloniales et pour former un Etat moderne. Le 13 août 1956, il  accorde à la femme des droits sans équivalent dans le monde arabe.
Il va aussi abolir la polygamie et la répudiation, et exige pour le mariage, le consentement mutuel des futurs époux. Cette attaque contre la discrimination des femmes fait des tunisiennes des privilégiées au Maghreb et au Proche-Orient.

– Il deviendra le premier Président de la République, le 25 juillet 1957.

– Il va abolir les privilèges des membres de la famille royale(Famille Husseinite) et offrira un enseignement gratuit avec un system éducatif uniforme, général et ouvert à tous les Tunisiens d’âge scolaire. Selon lui, l’enseignement est le meilleur outil de combat contre le sous-développement et environ le tiers du budget d’ Etat y sera consacré.

– Il mettra en œuvre un vaste programme de construction d’infrastructure de base qui couvre des hôpitaux publics, des routes reliant les différentes zones du pays, aux barrages hydrauliques pour une gestion plus efficiente des ressources en eau et en énergie. 

-Bourguiba restera à la tête de la Tunisie jusqu’au 6 novembre 1987 la suite à quoi il fut écarté pour raisons de santé, par son premier ministre et ministre de l’intérieur Zine El Abidine Ben Ali. 

Il mourra le 6 avril 2000 à l’âge de 97 ans.  Avec la disparition du Leader Habib Bourguiba, la Tunisie et le monde perdent l’un des chefs historiques qui ont conduit leurs pays à l’indépendance.

b) Contexte historique

            Concernant le contexte historique, premièrement, le parti Neo Destour fut créé en visant à libérer le peuple tunisien du protectorat français. Sa création a mis en alerte Marcel Peyrouton (résident général de France en Tunisie) et les contrôleurs civils puisque ce dernier les a prévenus qu’un nouveau parti voulait “liberer l’Etat husseinite du protectorat français” (l’Etat husseinite étant la dynastie tunisienne qui gouverne le pays) Peyrouton ne tardera pas alors à lancer des coups sévères au Neo Destour. La repression coloniale se fait + violente dans le pays mais la résistance se poursuit. Le 3 sept 1934, Peyrouton n’hésitera pas à déporter Bourguiba et ses compagnons à kebili avant de les interner, au bout d’un mois à Borj Leboeuf (Sud de la Tunisie). Pour la première fois, l’arrestation et la dispersion des chefs politiques, l’agression contre un parti nationaliste organisé, provoquent tout deux des démonstrations populaires en chaîne que les réactions les plus violentes et les plus sanglantes du service d’ordre n’arrivent pas à surmonter.

Cette agitation durera jusqu’en avril 1936, date à laquelle Peyrouton fut remplacé par un résident général mieux disposé au dialogue, Armand Guillon qui à peine débarqué, commencera par libérer tous les déportés. Il aura donc une bonne relation  avec le parti Neo Destour. Un mois plus tard, Bourguiba et ses compagnons rejoignent leur foyer, après près de 2 années de détention dans des conditions déplorables. 

Le Neo destour fidèle à sa tactique, aura le courage d’appuyer sa nouvelle politique française valant à la Tunisie deux années de paix et à la France un regain de prestige incomparable.

Cependant, le fait que le parti que son leader Bourguiba ait une bonne entente avec la France posait un problème au peuple tunisien, voyant cette entente comme une trahison par rapport à sa lutte pour l’indépendance. Ainsi dans ce discours, au congrès du Neo destour qui  a duré du 1er au 2 novembre 1937, Bourguiba essaye de clarifier le but de cette entente diplomatique, et remet en cause en se défendant ce que quelques uns pense de cette entente .

Ainsi, la grande révolution que Bourguiba cherchait à réaliser dans l’esprit de ses compatriotes était acquise. Étant conscient de son efficacité, le peuple tunisien reprenait espoir. Cependant, il était aussi conscient que la lutte était inachevée. Cette lutte, ne faisait plus peur à Bourguiba puisque c’était un but qui méritait ces sacrifices.

Enfin, soulignons un fait précis :

–          De 1934 à 1936, la France mal informée,  a essayé de détruire le Neo destour, usant contre ses chefs et ses militants de tous les moyens de contrainte et de terreur dont elle disposait

–          Puis de 1936 à 1938, la France mieux inspirée , lui a fait confiance et a esquissé en tunisie, une politique plus intelligente d’entente et de compréhension : elle l’a trouvé chaque fois à ses côtés, loyal et modéré ayant le sens de la mesure avec, derrière lui, l’unanimité du peuple tunisien.

On peut donc dire qu’il y a eu l’épreuve et la contre épreuve.

c) Glossaire

Collaboration : L’acte de travailler ensemble pour atteindre un objectif.

Volte-face : Brusque changement d’opinion, de manière d’agir.

Exil : Situation d’une personne qui est expulsée ou obligée de vivre hors de sa patrie. 

Etriqué (adj) : Pas assez large, médiocre.

Scission : Fait de se diviser, se de scinder. Exemple pour une partie d’une association, de se retirer en formant une organisation nouvelle.

Reformistes : Partisans d’une transformation progressive des structures économiques et sociales de la société capitaliste.

Destouriens : Partisans du parti Tunisien Destour qui a pris le pouvoir lors de son indépendance.

Emancipation : Action de s’affranchir d’un lien, d’une entrave, d’un état de dépendance, de domination ou d’un préjugé.

Motion : Texte soumis à une assemblée pour exprimer son opinion ou sa volontée qui par la suite sera votée.

Acheminement : Diriger quelque chose ou quelqu’un vers un lieu précis, ou le mener à tel ou tel état.

Rouage : Chaque élément d’un organisme, considéré dans sa participation au fonctionnement de l’ensemble.

Repression : Action de reprimer, de punir.

Prépondérance : Superiorité donnée par l’autorité, l’influence, le nombre, la valeur.

Redomontade : Vantardise pleine d’insolence.

Doctrine destourienne : Coyances et principes politiques s’appuiyant sur le parti tunisien du Destour qui a pris le pouvoir à l’indépendance de la Tunisie. 

Satrape : Porteur du pouvoir, le gouverneur d’une satropie.

II) BOURGUIBA, UN FERVENT MILITANT : COMMENTAIRE

a) Bourguiba nie être un collaborateur

            A l’occasion du Congrès du Néo-Destour, Habib Bourguiba tient un discours dans lequel il s’adresse à ses opposants idéologiques tunisiens, qu’il appellera « les vieux-destouriens ». Leurs expliquant qu’il n’a jamais collaboré avec la France, il nie sévèrement être un collaborateur.

            Dès le début du discours, aux deux premières lignes, Bourguiba a eu des échos selon lesquelles certains membres de son parti l’accusant de mener une politique de collaboration avec le colonisateur français. En qualifiant, à la ligne 3, ces accusations de « tendance »,cette rumeur pour lui n’est tout bonnement qu’un effet de mode. Et juste après, en utilisant « si elle existe », nous pouvons déduire que lui même remet en cause l’existence même de cette dite rumeur. Il accuse les « vieux- destouriens » d’être à l’origine de cette rumeur, car ils ont vu en lui un collaborateur à travers la bonne entente qu’il entretient avec le résident général de l’époque. Par le suite Bourguiba prend les « vieux-destouriens » de haut et remet en cause leur parole jusqu’au bout en disant « ils prétendent que », à la ligne 7.  Et dans le même paragraphe, jusqu’à la ligne 11, nous comprenons que selon eux (les vieux-destouriens), en mai 1933, Bourguiba et son parti étaient d’accord pour cesser définitivement la politique de collaboration et opter pour une politique d’opposition totale à la France. Mais, les « vieux-destouriens » considèrent que Bourguiba a trahi leur accord lorsqu’il a accepté d’entrer en contact avec le gouvernement colonial de l’époque : d’après eux, ce volte-face (changement brusque d’opinion ou de comportement) date de son retour d’exil.

En réponse aux accusations, Bourguiba explique que le parti ne s’est jamais accorder à mener une politique d’opposition en abandonnant la politique de collaboration, sachant que le parti n’a tout bonnement jamais collaboré. Et que dès sa création, à la base, son parti est un parti d’opposition et que lui-même étais opposé à la collaboration de certaines élites tunisiennes avec le gouvernement français. De la ligne 16 à 21, par « il », Bourguiba parle de son parti. D’après lui, son parti était le premier à dénoncer la stratégie de la France, en 1922, qui visait à duper le peuple tunisien en lui miroitant un contrôle du pouvoir par le biais d’une représentation minime, insignifiante, de manière à garder le pouvoir et de sorte à ce que le gouvernement français sois le seul à en tirer les ficelles. De la ligne 21 à 24, c’est pour Bourguiba à partir de ce moment-là, suite à cette dénonciation, que l’opinion publique s’est partagée en 2 entre : les réformistes, ce qui croient en cette duperie, et les destouriens, qui aux yeux de Bourguiba ont la clairvoyance.

Par la suite Bourguiba démontre qu’en 1933, le parti a pris conscience et a constaté que cette collaboration avec le gouvernement français, la collaboration à sens unique de 1922, a fait faillite. Au lieu de mener le pays vers l’indépendance, elle a eu un efface destructeur.

On retrouve l’origine des accusations aux lignes 52 à 55. Bourguiba est alors attaqué par les « vieux-destouriens » car il a encouragé la collaboration du premier gouvernement du Front Populaire envisagée par M. Viénot, et a été prêt avec son parti, à y prendre part. Mais cette politique n’a jamais aboutie, automatiquement, la collaboration n’a jamais eu lieu, au vu de l’échec de cette politique. Finalement de la ligne 101 à la ligne 103, Bourguiba affirme fermement qu’il n’a jamais agi à l’encontre de l’idéologie destourienne et n’a jamais porté atteinte à leur doctrine.

b) Différentes formes de collaboration

            Dans ce deuxième point, Bourguiba explique qu’il existe différentes formes de collaboration et qu’une certaine forme de collaboration pourrait être la clef de l’indépendance.

En réalité, Bourguiba et son parti ne sont pas hostiles à toute forme de collaboration. Ainsi, s’il a condamné la collaboration de 1922, cela ne signifie pas automatiquement qu’il s’oppose à toute autre forme de collaboration tel que nous pouvons le constater à la ligne 28, lorsque Bourguiba dit « mais le parti n’a pas condamné: pour cela toute collaboration ».

Par la suite, nous comprenons des lignes 33 à 36, que Bourguiba tenait à saisir tout changement de cap du gouvernement français entrevoyant la participation du peuple tunisien à sa propre émancipation du joug de l’occupation française. Pour lui, les tunisiens n’obtiendront pas leur indépendance à travers la violence mais bel et bien à travers les négociations. Il ne s’agit pas de prôner la politique du « tout ou rien ».

Bourguiba explique que les puissances coloniales qui ont mené leurs colonies vers la voie de la libération y sont parvenues pour la simple et bonne raison que les deux peuples, à savoir colons et colonisés, ont collaboré quotidiennement et cela a finalement abouti à la libération. Ainsi, à l’aide d’exemples historiques, Habib Bourguiba étaye ses propos et nous comprenons donc, que selon lui, ni la collaboration à sens unique, ni la politique d’opposition farouche ne sauraient offrir au peuple tunisien son indépendance. Il faut étroitement collaborer avec la France pour parvenir à ses fins. Cette idée est explicitée de la ligne 41 à la ligne 42 du discours.

Lorsqu’il dit « il y a donc collaboration et collaboration. Ce qui importe dans cette matière n’est pas le mot, c’est son contenu », il apparaît clairement que pour Bourguiba, si la collaboration mène la Tunisie à l’autonomie et à l’indépendance, alors c’est une bonne collaboration. En soit, à travers son discours, ce fervent militant donne deux définitions opposées au mot «collaboration » en les juxtaposant. Si le terme « collaborer » a pris une connotation péjorative avec le temps, notamment dans le contexte de la guerre, Bourguiba refuse de s’arrêter là. A son sens, c’est moins la signification de ce mot qui importe que ce que l’on en fait en terme d’actes.

Dans le paragraphe qui suit, des lignes 45 à 49, Bourguiba développe l’idée selon laquelle il a vu en la collaboration envisagée par le Premier Gouvernement du Front Populaire (en particulier par M. Viénot) une collaboration parfaite et idéale qui débouchera vers l’indépendance de la Tunisie avec l’appui de la France. Voilà pourquoi, son parti et lui ont soutenu et encouragé la collaboration avec le Premier Gouvernement du Front Populaire : « nous, nous l’avons soutenue, nous l’avons encouragée » ligne 52.  Depuis son retour d’exil de Bordj-Leboeuf, Bourguiba a donc œuvré pour l’aboutissement de cette politique de collaboration, comme nous pouvons le constater à travers ses dires « nous avons poussé de toutes nos forces au développement de cette politique ».

Dans les lignes 59 à 62, Bourguiba a le ton fière. En effet, il se vente d’avoir ouvert les portes au dialogue entre les colons et et les colonisés grâce à la relation qu’il a établi entre son parti et le gouvernement français. Le début de cette bonne entente entre représentants des deux peuples marque un tournant considérable. Une sorte de consensus prend forme petit à petit entre les intérêts français et ceux du peuple tunisien.

Très vite, le ton change et devient ironique lorsque Bourguiba déclare « devions-nous lui répondre par une fin de non-recevoir, nous adapter dans une attitude négative et faire ainsi le jeu des exploiteurs du peuple? ». Dans ces quelques lignes, le chef du Néo Destour pose des questions oratoires, à savoir des questions rhétoriques. Il dit explicitement que son intérêt principal est le bien être du peuple tunisien et si pour cela Bourguiba doit envisager d’entrer en collaboration avec le gouvernement français, alors il le fera sans aucune hésitation, aucune gêne ni aucun regret.

Finalement, aux lignes 83 à 90, Bourguiba met sa stratégie à nue. Il compte entretenir de bonnes relations avec la puissance coloniale afin de profiter de certaines libertés. Et en utilisant ces quelques libertés à bon escient, il veut éduquer le peuple tunisien mais aussi le préparer à faire face à un possible et imminent soulèvement du gouvernement. Dès lors, les tunisiens seront prêts et unis pour oser se mettre en travers du colonialisme.

c) L’accusé accuse

            Dans cette dernière partie, Habib Bourguiba a le ton très accusateur. Il peint un portrait négatif des « vieux-destouriens » et , revirement de situation, c’est autour de l’accusé de condamner son bourreau.

Notre analyse commence à la ligne 65 où Bourguiba accusent les « vieux-destouriens » d’être hostiles à une possible entente franco-tunisienne. Pars la suite, il dit implicitement d’eux que ce sont des lâches qui œuvrent dans l’ombre. Leur politique d’opposition est inutile, factice, c’est une politique de façade qui ne vise qu’à détruire toute relation diplomatique entre la Tunisie e la France. De la ligne 69 à la ligne 72, pour Bourguiba, en appelant à la répression (politique d’opposition par la violence) les « vieux-destouriens » cherchent à instaurer un climat stérile à toute collaboration ou travaille en commun avec la France. Ils ne cherchent pas à se défendre du danger que représente le protectorat français, tout bonnement car ce danger n’existe pas selon Bourguiba. Les « vieux-destouriens », d’après Bourguiba à la ligne 73, justifient leurs actes d’opposition par la présente du protectorat en Tunisie et donc par le sois disant désir d’expulser la puissance coloniale. Or, Bourguiba qualifie la peur du colon de « danger imaginaire » et dit que ce genre d’attitude ne mènera nullement à l’amélioration de la situation, au contraire, cela ne fera qu’empirer les choses.

Plus tard dans le discours, Bourguiba taxes ses opposants de « marabouts-démagogues ». Un marabout, en Afrique est une personne connue pour ses pouvoirs de guérisseur. La démagogie est une notion politique rhétorique désignant l’état politique dans lequel les dirigeants mènent le peuple en le manipulant pour s’attirer ses faveurs, notamment en utilisant un discours flatteur plein de promesses. Jusqu’à la ligne 97, il démontre leur courte vue et leur traditionalisme accablant. Ces derniers taxent la politique de négociation et d’étapes de « trahison ». Bourguiba fait ici de la rhétorique, sur le ton ironique et accusateur, car aux yeux de Bourguiba ce sont eux les traitres car ils ont été passifs pendant 14 ans. Ils ont laissé le champ libre à la France et n’ont pas bougés le petit doigt. Ils se sont contentés d’oppositions verbales qui n’ont pas été prises aux sérieux par la France tout simplement car le gouvernement français a compris que ces oppositions n’étaient que pure hypocrisie, destinées uniquement à sauver la face. Mais que en pratique, ils répondent absents au moment d’agir. De plus, leur vision qui considère que « tout est perdu d’avance » et quasi maladive d’après Bourguiba.

De la ligne 98 à la ligne 101, Bourguiba est conscient de la position supérieure de la France dans ce conflit et expliquent à ses opposants qu’il n’est guère besoin de perdre sa salve et son temps avec des rodomontades (vantardises pleine de d’insolence) haineuses. Puisque la France puise sa force dans l’ignorance, la résignation et le manque d’organisation de ses victimes . À travers la question rhétorique et accusatrice qu’il pose à la ligne 104, il dit que jamais il n’a mené une quelconque action qui va à l’encontre de la doctrine destourienne mais que les néo-démagogues si. Cette accusation continue jusqu’à la ligne 111, où Bourguiba accuse et révèle que les néo-démagogues ont trahi le parti en acceptant d’adhérer à une soit disant « commission des réformes » qui a au préalable été condamné par le parti lui-même  en 1922. Cette commission fut condamnée par le parti car ne reflétant pas assez la volonté de la nation.

À la toute fin du discours, de la ligne 112 à la ligne 116, pour Bourguiba, alors que la Tunisie était dans sa phase la plus sombre et macabre, les néo-démagogues, qui se sont proclamés de « purs d’entre les purs » n’ont pas hésité à se lier d’une certaine manière au Satrape (protecteur du pouvoir) en le contactant.

Bourguiba disant implicitement mais toute fois de manière très explicite, et la réside tout le paradoxe, que les néo-démagogues n’ont pas cherché à alléger les souffrances du peuple tunisien mais ont au contraire léché les bottes du Satrape. Et ceci d’après Bourguiba, est de la collaboration pure et dure.

CONCLUSION

Ce discours est prononcé dans un contexte où Bourguiba voulait davantage se consacrer à une négociation avec la France, mais en même temps poursuivre le combat contre le protectorat français.

Il a programmé une mutation de l’ancien parti destourien vers un nouveau parti, le Néo Destour, afin que ses militants soient en phase avec le renouveau de la ligne politique des militants destouriens envers les autorités françaises. C’était, autrement dit, la politique des étapes que Bourguiba s’efforçait de faire valoir contre la politique du « tout ou rien » prônée par certains membres du parti.

Malgré l’obtention de l’indépendance, et sa prise du pouvoir, il n’en demeure pas moins qu’une part de la population tunisienne n’a pas cessé de voir en Bourguiba un collaborateur ayant trahi la nation, même si l’opinion publique lui est majoritairement favorable.

BIBLIOGRAPHIE

HABIB Bourguiba, 1954. La Tunisie et la France. Vingt-cinq ans de lutte pour une coopération libre.

CAID ESSEBSI BEJI, 2012. Habib Bourguiba le bon grain et l’ivraie. Sud Edition Tunis.

SITOGRAPHIE

Maalej, K. (s. d.). Habib Bourguiba (1903-2000). http://www.tunisie.online.fr/bourguiba/ [Consulté en mars 2015].

Hdhaouadi. (s. d.). Hommage à Habib Bourguiba, intellectuel, homme d’État et fondateur de la Tunisie moderne 2000-2012. AgoraVox. http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/hommage-a-habib-bourguiba-114133 [Consulté en mars 2015].

FILMOGRAPHIE

Mohamed Hedi Hannachi (auteur) & Maher Abderrahmane (réalisateur). Zaman Bourguiba. 2007. Al Arabia.

ENTRETIENT

Ameur JERIDI , Politicien tunisien et professeur de civilisation, Président de la fondation internationale « Tunisia think tank ». 2015

Houda BEN YOUSSEF, Secrétaire générale de l’organisation de la famille arabe. 2015