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Dario Battistella. L’occident, exportateur de démocratie

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LECTURE CRITIQUE

Octobre 2019

Dario Battistella est un professeur des Universités spécialiste de Relations Internationales et conférencier à l’OTAN à Rome. Il enseigne au sein de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux et l’auteur de l’article « L’occident, exportateur de démocratie » paru en 2011 dans la revue Politique Étrangère éditée par l’Institut français des relations internationales.

A travers cet article, Dario Battistella revient sur différentes interventions militaires occidentales qui se sont intensifiées et ayant marqué les vingt dernières années, à savoir depuis les années 1990 jusqu’à 2011 – année de publication de l’article qui suscite aujourd’hui notre intérêt.

L’auteur dresse un argumentaire basé sur une lecture historique des événements tout en établissant un parallèle quant-à leurs racines idéologiques qui sous couvert du néolibéralisme international, remontent en réalité à la période des conquistadores. Si ces interventions armées occidentales ont pu jouir d’une légitimation par le biais du droit international, elles n’en demeurent pas moins inefficaces et tendent d’ailleurs à l’échec, à l’image du cas Afghan notamment. L’argumentaire de Dario Battistella est basé sur une analyse mêlant histoire, discours et citations de grandes personnalités ainsi que les idéologies pouvant expliquer certaines démarches décisionnelles.

L’exportation de la démocratie est et demeure un idéal inachevé auquel l’occident aspire mais qui s’avère être, dans la pratique, bien plus complexe voir inatteignable.

Durant la Guerre Froide, le concept d’exportation de la démocratie n’était ni plus ni moins qu’une terminologie présente dans les discours des uns et des autres sans pour autant être effective. A titre d’exemple, Carter affirmait vouloir « mettre la politique étrangère au service de la démocratie », or la réalité était tout autre. Ainsi, à l’ombre du danger soviétique, la démocratie se voyait être une arme défensive face à la dite menace rouge, loin de là l’intérêt purement désintéressé de libérer les peuples.

De même, Wilson a défendu sa politique interventionniste en Amérique Latine en affirmant vouloir la « rendre plus sûr pour la démocratie ». Ici, l’on comprend très vite que la démocratie constitue un outils de légitimation des interventions militaires et ne se trouve pas être le but ultime ni une fin en soi.

Dario Battistella met en lumière une réalité souvent trop ignorée. Il démontre ainsi que le XXème siècle aura été marqué par nombre d’interventions occidentales armées qui sous couvert de valeurs démocratiques ne constituaient ni plus ni moins qu’une course vers les intérêts stratégiques et économiques des grandes puissances. Notons d’ailleurs que la démocratie est loin d’être l’élément ultime au centre des préoccupations occidentales tel que le souligne Dario Battistella en illustrant ses propos par le cas du Chili. Le coup d’État et renversement du régime de Salvador Allende pourtant élu démocratiquement aura été soutenu par Washington ; de quoi remettre en question les dites valeurs démocratiques donc.

Au lendemain de la Guerre Froide, nous assistons dorénavant à la pratique de politiques ouvertement interventionnistes cette fois-ci au nom de l’établissement de la démocratie, du respect des Droits de l’Homme et de la protection des droits des minorités. L’auteur affirme que la configuration des rapports de puissance qui caractérise le système interétatique de l’après-guerre froide est plus que jamais favorable à une politique interventionniste. Cette situation s’explique par le niveau de puissance matérielle avec l’avènement d’un monde unipolaire dorénavant stable dont les États-Unis sont la seule puissance par excellence. Ajoutons à cela la notion de valeurs culturelles et « fin de l’Histoire » avec la démocratie comme seul modèle légitime, sans oublier le facteur économique et la puissance militaire qui font des États-Unis une superpuissance capable de mener et d’imposer une politique étrangère néolibéraliste internationale. Néanmoins, le néolibéralisme dont il est question se voit être contradictoire en son sein. En effet, il existe deux différente pratiques opposées l’une à l’autre : la première suppose les principes d’égalité et de tolérance qui suggèrent une souveraineté égale entre les États et une non-ingérence réciproque dans la gestion de leur affaires internes ainsi que le principe de non-recours à la force. A l’inverse, la deuxième pratique basée sur la liberté de progrès favorise l’ingérence des États les plus puissants au sein d’autres pays afin d’y imposer de nouvelles valeurs et modèle à suivre, tout comme le principe de légitime défense incite lui à l’unilatéralisme (à savoir déterminer les différents dangers susceptibles de justifier le droit de légitime défense).

Face à ces deux pratiques, les États-Unis ont porté leur dévolu sur la variante néolibérale de l’internationalisme libéral dont la démocratie est une référence pour « juger la légitimité des régimes et les droits de l’Homme en nouveau standard de civilisation ».

L’exportation des nouvelles valeurs se fait quant-à elle à travers les deux mécanismes que sont le Soft ainsi que le Hard Power. L’élargissement de l’Union Européenne vers l’Est aura été le meilleur moyen de rallier des démocraties illibérales aux valeurs démocratiques de l’UE à travers les critères d’adhésion, il s’agit donc là de la pratique du Soft Power. A contrario, le néolibéralisme international fait également recours à la force à travers la pratique du Hard Power pour imposer les critères du nouveau « standard de civilisation libérale » à savoir : le respect des droits civils et politiques fondamentaux de l’Homme, le respect du rôle de la société civile en interne et à l’international, l’engagement en faveur d’une gouvernance démocratique et enfin l’engagement en faveur de l’autorité de la loi en interne et à l’international. Le Hard Power est effectif dès lors que des États sont régis par des régimes dits « voyous » (avec notamment Foreign imposed regime changes, comme pour le cas de l’Irak de Saddam Hussein ou bien l’Afghanistan des Talibans) ou encore des États faillis où la guerre civile fait rage par exemple et où l’on procède alors par State building (où les « faiseurs de démocratie » font en sorte de « transplanter les valeurs et les institutions du centre démocratique libéral vers les États de la périphérie »).

Une relecture du droit international basée sur la notion de droit d’ingérence humanitaire va désormais permettre la légitimation de l’exportation de la démocratie. En 1999, Kofi Annan – à l’époque secrétaire général des Nations Unis – va officialiser l’acceptation par l’ONU de la lecture droit-de-l’hommiste plutôt que stato centrée de la Charte. Les principes de légitimité sont directement issues des valeurs propres aux puissances prépondérantes qui se succèdent à la tête des systèmes interétatiques. L’on notera ici que l’ordre politique européen moderne était centré autour de l’Espagne avant de connaître l’ascension de la France au milieu du XVIIème siècle avec l’avènement d’un nouvel ordre. Ce sera par la suite au tour de la Grande Bretagne de briller au début du XIXème siècle. Il est important de souligner que chacun de ces trois systèmes politiques va produire son ordre légal international dont la structure aura elle-même été déterminée par la vie politique propre à chacune de ces trois puissances prédominantes.

Le néolibéralisme international se trouve être la dernière variante de l’idéologie occidentale suprémaciste vis-à-vis des autres peuples.
L’on retrouve au centre du néolibéralisme une différenciation hiérarchisée persistante au sein de laquelle demeure la notion d’opposition entre l’Occident des civilisés versus l’Orient des barbares. Les politiques d’exportation de la démocratie constituent la dernière incarnation de la bonne conscience de l’Occident qui poursuit son « œuvre civilisatrice ». L’internationalisme néolibéral renoue ainsi avec les idéologies de la Chrétienté, la Raison et la Civilisation avec l’expansion des valeurs européennes hors de l’Europe. Les démocraties libérales et failed states font l’objet d’un soutien et reçoivent l’aide des démocraties occidentales tandis que les « rogue states » constituent des entités perturbatrices de l’ordre international néolibéral et sont donc à combattre.

Si l’on se penche de plus près sur l’idéologie occidentale et la mission civilisatrice des barbares, l’on constate comme le décrit Dario Battistella que l’approche des grecs vis-à-vis des perses est défensive tandis que celle des Espagnols est offensive. De même, la Grande Bretagne et la France ne se sont pas privées de porter atteinte aux droits des peuples lors de la colonisation. Ajoutons à cela le white man’s burden dernière expansion européenne du XIXème siècle : ”«Ouvrir à la civilisation la seule partie de notre globe qu’elle n’a point encore pénétrée, percer les ténèbres qui enveloppent des populations entières, c’est, j’ose le dire, une croisade digne de ce siècle de progrès », affirme ainsi le roi Léopold de Belgique lors de la Conférence du Congo de 1884-1885”.

Le projet ambitieux d’exportation de la démocratie n’en demeure pas moins un échec tant dans le fond que dans la forme. En effet, la notion de démocratie est opposée de manière intrinsèque à celle de la militarisation « la démocratie et la militarisation ne font pas bon ménage ». De plus, tant que l’Homme blanc continuera de voir en la démocratie une mission civilisatrice dont il est le garant alors cette valeur restera vouée à l’échec car les peuples sujets de cette démocratisation demeurent perçus comme étant un moyen et non une fin en soi.

L’année 2011 est marquée par le soulèvement des peuples notamment avec les événements dits du Printemps Arabe. C’est au cours de cette année charnière et pleine de bouleversements que sera publié l’article de Dario Battistella et dont le titre nous interpelle à lui seul. La notion de démocratie est en 2011 plus que jamais au goût du jour puisque scandée et réclamée par des centaines de milliers de citoyens de par le monde à travers diverses manifestations et slogans. Il paraît alors perspicace et raisonnable de revenir sur certains concepts propres à la démocratie, offrant ainsi un historique quant-aux débuts de l’expansion de cette valeur avec tout ce qu’elle implique comme avantages, contradictions, idéologies etc.

Spécialiste des relations internationales, Dario Battistella tente à travers les lignes de mettre en exergue les différents paradoxes que comporte la démocratie ainsi que son rapport aux peuples. Aujourd’hui encore d’actualité, ces paradoxe découlent d’un héritage historique d’où la nécessité de faire un saut dans le temps afin de dépeindre une frise chronologique nous offrant les clés de lecture des différentes idéologies, politiques et décisions ayant mené et construit notre société contemporaine.

Cet article me semble solide et intéressant dans son ensemble. Je suis d’avis que l’argumentaire étayé par de nombreux exemples datés, cités et documentés offre une force de persuasion quant-à l’idée avancée et permet au lecteur d’avoir un visu assez claire des différentes étapes à travers lesquelles l’ordre mondial a évolué, changé, a été bouleversé avant de devenir celui que nous connaissons aujourd’hui. Je regrette néanmoins l’absence de recule et l’adhésion sous-jacente de l’auteur au concept de démocratie, faisant ainsi manifestement abstraction d’une réalité pourtant évidente. Il est clair que Dario B. ne remet pas en question la démocratie en elle-même mais bien les procédés d’expansion et le néolibéralisme international (qui sous couvert de démocratisation poursuit l’idéologie suprémaciste occidentale). Or, la démocratie pure et parfaite demeure un idéal fictif illusoire qui n’existe nullement, pas même en Occident. Ainsi, la légitimation de la démocratie comme seul et unique régime ne devrait pas fermer les portes à d’autres conceptions et applications de cette dernière. D’autres approches peuvent tout autant voir le jour ailleurs et s’avérer – pourquoi pas – bien plus poussées et libératrices que notre démocratie moderne.

Bibliographie

Article | Battistella, Dario | Politique étrangère | Hiver | 4 | 2011-11-01 | p. 813-824 | 0032-342X | 2011